- Ah oui vous êtes le bienvenu on aime bien les journalistes !
- Tiens donc vraiment ?
- Oui oui c’est Joseph Kessel qui a mis en lumière notre association dans les années 50, nous aimons bien les médias…
- Oui il a écrit Avec les alcooliques…
Ben attends j’ai fait des études sacrebleu ! Quel plaisir d’entendre ça ! Pour une fois qu’un journaliste n’est pas réceptionné par une meute de prunelles suspicieuses. Une investigation chez les Alcooliques Anonymes, le comble journalistique, moi qui suis déjà bourré rien qu’en gobant un Mon Chéri.
« Tyran », « créancier », « vorace ». Non, les mots qui fusent dans l’assistance d’une dizaine de victimes ne me concernent pas. Mais visent l’alcool. Je suis installé en plein milieu du cercle, tel le chef d’une tribu sud-américaine. L’ambiance est sereine, reposante, loin du tumulte médiatico-citadin, alors qu’on est pourtant à vingt mètres d’une rue grouillant de monde et de kebabs. La réunion se déroule dans une pièce entièrement blanche, l’impression d’être dans le vaisseau au début de La Guerre des étoiles ! Un bouquet de fleurs, une bougie qui vacille tout près. Je me permets discrètement de les éloigner l’un de l’autre, pour ne pas qu’ils s’enflamment. Il y a tout de même Juju dans la salle ! Probabilité d’incident matériel multipliée par huit ! Et bien sûr des boissons non alcooliques. Le protocole est simple : personne ne coupe la parole à l’autre. Un homme en costard cravate saisit la parole,
- Maintenant j’ai une vie normale, je peux regarder un film de A à Z.
Première découverte, il n’y a pas les « Bonjour, euh, je m’appelle Hector, je n’ai pas bu euh, depuis trois mois », puis les applaudissements et « Bravos Hector » qui suivent. Rien de tout ça ! Maudits scénaristes !
- J’ai tout reconstruit aujourd’hui, car je voyais que les anciens participants revivaient…
J’interroge en chuchotant, malgré l’interdiction du président de séance, un homme à chemise à carreaux,
- J’ai chanté dans ma voiture, et n’ai plus bu car je savais que je n’étais plus seul dans mon cas…
« Chanter », « dans », « voiture », je note je note ! Un autre avoue être encore tenté par le « démon ». C’est bon ça je note aussi ! La réunion s’achève. Dans l’assistance, je repère deux yeux bleus mirifiques juchées sur une tête féminine que je raccompagne vers la sortie et le tumulte de la ville.
- Vous savez, vous ressemblez incroyablement à XX (actrice et chanteuse). Je suppose que je dois enterrer l’idée de vous citer dans l’article aussi profondément que le pétrole en Antarctique ? Dommage ça aurait pimenté les colonnes !
Elle me sourit, et en partant me lance,
- Vous ne le dites à personne n’est-ce pas ? Car je me souviendrai de vous… en me catapultant un clin d’œil et un sourire.