Tout journaliste plongé dans un cocktail en ressort alcoolisé et greffé de cartes de visites. Un cocktail, c’est la faune aux sujets et la foire aux embrouilles journalistiques. Première étape, repérage des connaissances. Surtout lorsqu’on débarque à un comme moi. Se pointer tout seul à un cocktail, tandis que des petits groupes se connaissent déjà et fusionnent comme des atomes, est aussi laborieux que de demander d’enfiler des perles à un Lofteur. Ce soir-là, pas de bol. Aucune connaissance. Ah si ! Un people là-bas, un verre scotché à la main ! Le hic, c’est que je devais concocter il y a plusieurs mois un article avec lui. Jamais on ne le fit. Brouille journalistique par excellence. Au moment de se croiser, tels deux chevaliers sur leur cheval avec leur bâton à la con dont personne ne connait le nom, je lui décoche un sourire Ariel Ultra. Le VIP blessé dans son âme de people fixe le sol et m’ignore. Malaise, je me réfugie dans ma coupe de champagne.
- Ah ah Juju le Pigiste, dites moi, un article sur les antennes paraboliques solaires à installation chauffante ? Ce serait pas mal non ? me lance une voix prépubère.
Voilà le fameux boulet du cocktail. Tout cocktail possède son boulet, en solo ou en meute. Celui qui est aussi venu seul et qui vous souffle son haleine empestant le champagne à deux centimètres de vos poils de nez. Malédiction journalistique, je suis sa victime, je ne l’ai pas vu surgir, dissimulé derrière les petits fours et le seau à champagne.
- Oui mais euh moi j’suis dans les people, la culture tout ça, vous voyez plutôt !
- Comment on fait pour qu’un people sponsorise nos antennes ?
- Euh, je vous tiens au courant, réponds-je en contemplant mes bulles de champagne.
Je repère alors deux mollets effilés surmontés d’un corps et d’une tête féminine très attirante. Alibi pour fuir.
- Oh excusez moi il y a une amie là bas ! A bientôt hein…fais-je à Monsieur Antennes.
- Bonjour, je suis Juju le Pigiste...dis-je à l’entité féminine.
- Ah oui ? lance la demoiselle en fronçant un des deux sourcils.
- Oui, je suis journaliste…
- Ben…moi aussi !
- Ah euh ok, on se repère entre journalistes, on se sent, comme dans Highlander hein, ben où vous allez ? Revenez !
Le champagne c’est bon, mais c’est un accélérateur de râteaux ahurissant.
- Je suis en CDI, je dois filer ! me répond la donzelle d’un ton aussi glacial qu’un paquet de poissons panés Findus. Le genre d’instant où, à l’instar des héros de dessins animés, on voudrait sortir de sa poche un désintégrateur atomique, et faire Pssssschhhhhht. Bon, vers qui jeter mes griffes journalistiques ? Je file à l’accueil, discuter avec les hôtesses. Ce sont de bonnes sources à tuyaux parfois. Quel vêtement porte ce people, avec qui il est venu etc, avec qui il repart (surtout), se shoote-t-il aux cacahuètes empreintes de 18 urines différentes (étude scientifique réalisée il y a plusieurs années), au saumon fumiste ou aux macarons fragrance Harpic ?
- Hi hi hi hi , vous vous ennuyez ? s’inquiète la fille au décolleté aussi profond que le Grand Canyon par beau temps.
- Moui, il n’y a pas grand monde ce soir…
- Bah ça va pas tarder, les gens sortent du travail, et vont venir.
- Pardon ? Mais il est 21 heures là !!! Les gens sont chez eux mademoiselle, ou ailleurs, en tout cas pas ici !!
- Vous vous allez fumer dehors avec moi ?
- Je ne fume pas !
- Ben venez…me regarder fumer…
- Hein ? Euh, oui très bien…vous aimez bien qu’on vous mate hein ah ah ah
- Hi hi hi hi hi
Censure effectuée par l’auteur sur le passage de dragouille en extérieur.
Retour hall du cocktail avec un numéro de portable féminin supplémentaire. Les effluves ont eu raison de l’oxygène de la salle. Des cadavres de petits fours trônent sur les nappes blanches. Des reliques de verre marquées de rouge à lèvres jonchent les rebords des fenêtres.
- Un verre de Perrier s’il vous plaît, fini le champagne, sinon je vais commencer à parler aux Macarons.
- Très bien Monsieur ! Pas de problème Monsieur, voilà Monsieur !
Nom d’une brève de trois pages ! C’est bien ma veine. L’homme aux antennes entame un nouveau piqué vers moi. Aucun refuge pour me planquer. Les toilettes, trop loin. La vieille d’à côté, sa moumoute bleutée trop plongée dans le pain surprise. Le comique people d’à côté, impossible de le déranger, car discutant avec son impresario, créant un cercle infranchissable pour un non people. Il se rapproche. Et le cauchemar de recommencer. Vingt minutes d’exposé sur l’historique des antennes. Du passé à nos jours. Mais pire : les antennes dans le futur aussi ! Le people comique à côté de moi, qui se souviendra mon nom épinglé sur mon costard, m’assimile par conséquent définitivement avec cet être venu d’ailleurs. Et je pourrai m’asseoir sur son interview. Addendum au théorème du cocktail : tout journaliste peut aussi en ressortir grillé.